Forum en clips – Durée : 3 min 38 s |
«J’ai retrouvé le gout de la lecture et maintenant je peux lire n’importe où. Ça a vraiment augmenté ma qualité de vie.» Le quotidien de Florence Slattery est bouleversé depuis quelques mois. La «révolution» dans la vie de cette secrétaire juridique à la retraite de 72 ans, c’est l’iPad. La tablette électronique lui a permis de lire de nouveau plusieurs heures par jour et sans difficulté quand c’était devenu un exercice à la fois fatigant et contraignant.Atteinte depuis 12 ans de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), la maladie oculaire la plus répandue chez les personnes âgées qui endommage la vision centrale, cette grand-mère installée à Brossard a participé à un récent projet mené par l’Institut Nazareth et Louis-Braille de l’Université de Montréal, un centre de réadaptation spécialisé en déficience visuelle.
Melissa Brière, spécialiste en réadaptation en déficience visuelle, et son collègue Normand Lamoureux, également chargé d’enseignement au diplôme d’études supérieures spécialisées en déficience visuelle de l’UdeM, ont voulu tester auprès de cinq ainés souffrant de déficience visuelle l’utilisation de la tablette électronique pour la lecture prolongée, celle de textes longs comme des romans, des biographies ou des essais.
Doubler ou tripler le temps de lecture
Le détail des conclusions de ce projet sera dévoilé prochainement, mais les deux intervenants de l’Institut ont déjà révélé que la tablette «aide les personnes âgées ayant une perte visuelle légère ou modérée à reprendre ou à développer des habitudes de lecture prolongée».
«Les participants ont doublé ou triplé leur temps de lecture avec l’iPad. Ils ont constaté un meilleur confort visuel qu’avec les outils jusque-là à leur disposition: loupes, lunettes ou télévisionneuse, un appareil assez encombrant qui permet de grossir un texte imprimé. Ils n’ont pas décrit d’effets secondaires comme les haut-le-cœur ou les picotements des yeux. Enfin, ils n’ont eu aucune difficulté à maitriser la petite bête», souligne Normand Lamoureux, qui explique la motivation de conduire cette étude: «Nos usagers nous demandaient souvent si la tablette pouvait leur être bénéfique. On le supposait, mais on a voulu valider nos hypothèses.» Il précise que le choix de l’iPad n’a été dicté que par un présupposé méthodologique: «C’est simplement la tablette qui connait le plus de succès actuellement.»
Sept heures par semaine
Le projet a été mené comme une étude scientifique. Les candidats potentiels, retenus parmi les usagers de l’Institut Nazareth et Louis-Braille, devaient avoir un intérêt prononcé pour la lecture et avoir été obligés d’y renoncer ou de la limiter fortement en raison de leur déficience visuelle. «On a choisi des personnes qui avaient aussi un inconfort avec les moyens traditionnels: télévisionneuse, loupes ou livres sonores», mentionne Normand Lamoureux.
Le groupe était composé de quatre femmes et d’un homme d’une moyenne d’âge de 72 ans. Trois de ces personnes souffrent de DMLA – 80 % des usagers de l’Institut –, une de la maladie de Stargardt et une de glaucome. Leur déficience visuelle était classée de légère à modérée, ce qui signifie que le résidu visuel était «exploitable en lecture».
«Pendant six semaines, les participants s’étaient engagés à lire au moins sept heures par semaine et ils devaient tenir un journal de bord pour y saisir des informations sur leur ressenti. Tous ont atteint les objectifs», se félicite Normand Lamoureux qui, avec sa collègue, avait «préparé» les sujets: «On leur a montré comment utiliser la tablette et l’adapter à leurs besoins, notamment pour ce qui est de la luminosité, du contraste des couleurs, du texte, de l’arrière-plan, du choix de la police. C’est essentiel et très différent selon les déficiences, certains ayant besoin de plus de lumière, d’autres de davantage de contraste. Ces possibilités de réglage sont inscrites dans la plupart des tablettes sans avoir à ajouter des applications, ce qui est souvent ignoré des marchands.»
«Elle me suit partout»
«Je l’ai très vite adoptée. La plupart des fonctions sont intuitives et accessibles même avec une vision réduite. Le seul souci que j’ai eu, c’est quand mon coiffeur a modifié les réglages, s’amuse Florence Slaterry, qui a maintenant sa propre tablette. Quand mes filles ont réalisé tout le bénéfice que je pouvais en tirer et mon bonheur de pouvoir lire de nouveau aussi souvent, elles m’ont fait la surprise de m’en acheter une qui me suit partout. Je m’en sers aussi pour aller sur Internet. J’ai découvert le plaisir de prendre mes courriels en buvant mon café le matin.»
Une fois regroupées, les données de l’étude seront diffusées. «Déjà d’autres centres de réadaptation sont intéressés», dit Normand Lamoureux, qui note un autre avantage à l’utilisation de la tablette: «Ça semble aider à la rééducation visuelle, entre autres de la vision excentrée. C’est une piste qu’il faudra peut-être creuser à l’avenir.»
Selon les derniers chiffres, 130 000 personnes au Québec souffrent de déficience visuelle.
Frédéric Berg
Collaboration spéciale
(Photos: Frédéric Berg)